Plonger avec des crocodiles, nager avec des orques, visiter l’Irak... Pour ceux qui
renoncent aux vacances «pépères», les offres touristiques sont de plus en plus
ébouriffantes. Pourquoi ne pas se payer une bonne montée d’adrénaline pour les
prochaines vacances? Ceux qui préfèrent les sensations fortes aux pieds en éventail
n’ont que l’em barras du choit, car dans le «loisir frissons», on aime la surenchère.
Pour preuve, si depuis quelques années, les bidonvilles des métropoles les plus
pauvres de la planète comme Rio ou Mumbai font partie intégrante des circuits
touristiques aujourd’hui les tours opérators envoient leurs clients directement dans
des pays en guerre. Destination privilégiée: l’Irak! Les touristes s’aventuraient déjà
dans la région du Kurdistan, mais pour la première fois ce moisci, un groupe
d’Occidentaux en vacances – parmi lesquels plusieurs retraités – s’est baladé au
cœur de la zone de conflit (Kerbala, Najaf, Bagdad).
En Europe de l’Est, certains voyagistes ukrainiens pro posent un crochet par le site de
Tchornobyl au même titre que la découverte de Kyiv ou d’Odessa. Plus dingue
encore, l’ancienne prison de Karosta, en Lettonie, vous accueille pour la journée et la
nuit comme un détend cellule spartiate repas infect et interrogatoire musclé au
programme...
Pour ceux qui préfèrent palpite au contact de la nature sauvage, aucun souci: au lieu
de plonger avec des crocodiles en Australie, ils peuvent nager avec des orques en
Norvège ou marcher avec des lions dans le parc national de Matusadona au
Zimbabwe.
Si certains renoncent à regarder pousser les noix de coco sous le soleil pendant leurs
congés et préfèrent se ficher une bonne pétoche ce n’est pas si surprenant à en
croire JeanDidier Urbain, anthropologue et auteur de plusieurs ouvrages consacrés
aux vacances. Les gens cherchent de l’exotisme, non plus dans la diversité des
paysages ou des cultures, mais dans la prise de risque, le frisson. Ce n’est d’ailleurs
pas tant l’aspect sportif qui importe que le frisson, explique le Français, avant de
compléter notre petit programme pour vacanciers en mal de sensations: en
Roumanie, une agence proposait de dormir dans le lit de Ceaucescu et en Hollande,
une autre de vivre comme un SD.
Tant d’extravagance, c’est à se demander si plus que partager la misère des
clochards ou se payer un têteàtête avec un saurien mangeur d’hommes, ce n’est pas
le fait de pouvoir ensuite raconter son expérience hors normes autour de soi qui
motive les gens. «C’est sûr que l’on gagne sur tous les plans, reconnaît JeanDidier
Urbain. Il y a le côté ostentatoire, le prestige de pouvoir dire que son voyage était
bien différent des autres. Mais, audelà de la morbidite que l’on cherche à assouvir
dans certaines activités, c’est aussi une façon de redonner du sens à son existence.
Ces activités ont une dimension thérapeutique: avoir l’impression de revenir de
vacances comme d’autres réchappent d’une maladie grave, en appréciant la vie
différemment.» Et si, malgré tout, vous optez pour des vacances farniente, n’allez
pas croire que vous êtes has been. «C’est vrai que ce tourisme d’adrénaline existe et
qu’il trouve preneur. Mais il reste tout de même marginal rappelle JeanDidier Urbain.
Ce que les gens, en général, demandent en vacances, c’est être rassurés. D’ailleurs,
même ceux qui recherchent le frisson veulent que les activités auxquelles ils par
ticipent soient sécurisées. C’est tout le paradoxe: on veut de l’aventure dont la part
d’imprévisible soit prévisible.»
Geneviève Comby, Le Matin Dimanche.