Je rentrais de mon cours de trompette quand je l’ai rencontrée, au feu rouge de la rue
de l’Ange. Elle avait une minijupe très serrée, des bas noirs, des cheveux verts et
rosés. Elle avançait cahincaha sur des chaussures à ta lons hauts, hauts, tellement
hauts qu’elle a perdu l’équilibre et s’est étalée au milieu du passage protégé.
Comme je suis très galant, je me suis précipité pour l’aider à se relever. Elle m’a fait
un grand sourire et elle m’a dit:
‒ Merci, p’tit gars, t’es vraiment sympa. Pour te remercier, je vais faire quelque chose
pour toi. Parce que je n’ai pas l’air comme ça, mais je suis une fée. Enfin, pas tout à
fait, je n’ai pas encore mon diplôme. Mais je sais déjà plein de trucs. En quoi veuxtu
que je te transforme? En poireau?
‒ Hein, quoi?
Je ne comprenais rien à ce qu’elle me voulait.
‒ Ah non, poireau, ça ne te dit rien? Dommage, c’est ce que je réussis le mieux. Et en
taillecrayon, ça te plairait d’être transformé en taillecrayon?
‒ Écoutez, je ne tiens pas tellement à être transformé...
C’est vrai, quoi, je ne suis pas mal que cela: yeux bleus, cheveux blonds, petit nez
même que ma grandmère m’appelle mon petit prince charmant...
‒ D’accord, d’accord, a dit la fée, pas de taillecrayon. En sucette à la menthe, alors?
Ou en poteau électrique? En benne à ordures? Non? Vraiment? J’ai bredouillié:
‒ M... mer... merci beaucoup, c’est très gentil à vous, mais...
‒ Si, si, j’y tiens, atelle insisté. Mais il faudrait que tu te décides, tu sais, parce que je
n’ai plus grandchose à mon répertoire. Ah si, j’oubliais ! Je peux aussi te transformer
en fer à repasser. Oh, je suis sûre que ça va te plaire. Regarde...
Je n’ai pas eu le temps de protester. Elle a sorti sa baguette magique téléscopique,
elle l’a agitée marmonnant des mots bizarres, et... zzzoup!, je me suis retrouvé coincé
sur un rayonnage de supermarché, avec une étiquette, un prix et un certificat de
garantie.
Et voilà! Je suis maintenant un fer à repasser. Fer à vapeur, double programme, avec
thermostat réglable, si vous voulez tout savoir. Et j’attends. Comme les crapauds des
contes de fée, j’attends qu’une belle princesse vienne m’embrasser. Et je
redeviendrai, comme avant, un vrai prince charmant.
Alors, Mesdemoiselles, soyez gentilles: quand vous voyez un fer à repasser,
embrassezle. Qui sait, c’est, peutêtre, moi. Et même si vous n’êtes pas très jolie,
essayez quand même. Je vous promets, je vous épouserai. Si maman le permet.