J’ai toujours en mémoire cette visite faite un jour à la bibliothèque du British Muséum. Je voulais me renseigner sur le traitement d’une légère indisposition dont j’étais plus ou moins atteint — c’était, je crois, le rhume des foins. Je consultai un dictionnaire médical et lus tout le chapitre qui me concernait. Puis, sans y penser, je me mis а tourner les pages d’un doigt machinal et а étudier d’un œil indolent les maladies, en général. Et comme je trouvai les symptômes de chacune d’elles, je crus que je les avais toutes!
Je m’interrogeai ensuite sur mon espérance de vie. Évidemment, il ne me resterait pas beaucoup...
J’étais entré dans cette salle de lecture avec l’enthousiasme que confèrent la jeunesse et la santé. J’en ressortis tel un vieillard décrépit.
J’irais consulter mon médecin. C’est un vieil ami à moi. Quand je me figure que je suis malade, il me tâte le pouls, me regarde la langue, et me parle de la pluie et du beau temps, le tout gratis. Sûr que je lui rendrais un fier service en allant le voir. « Un médecin a besoin de pratique, me dis-je. Je me mettrai а sa disposition et il en retirera une expérience supérieure а celle de mille sept cents malades réunis, de ces malades ordinaires qui n’ont qu’une ou deux maladies tout au plus. »
Je me rendis donc chez lui.
« Eh bien, qu’as-tu donc ? m’interrogea-t-il.
— Tu sais, mon vieux, la vie est courte et tu risquerais fort d’avoir achevé la tienne avant que j’aie fini de te raconter ce que j’ai. Toutefois, je puis t’assurer que les maladies, je les ai toutes. De A а Z ! »
Je lui contai alors en détail comment j’en avais fait la découverte.
Il me fit tirer la langue, y jeta un coup d’œil, me prit le pouls, m’assena une claque dans le dos au moment ou je m’y attendais le moins – ce que j’appelle un coup en traître – puis y colla brutalementson oreille. Après quoi il s’assit, rédigea une ordonnance, la plia et me la remit. Je la fourrai dans ma poche et m’en allai.
Je ne sortis l’ordonnance que pour la tendre au pharmacien le plus proche. Il la lut et me la rendit en s’excusant de ne pouvoir me satisfaire.
« Vous n’êtes pas pharmacien ? demandai-je.
— Si, précisément : je tiens une pharmacie… mais pas un hôtel-restaurant », me répondit-il.
C’est alors seulement que je lus l’ordonnance. Voici ce qu’elle prescrivait :
« Une livre de bifteck, plus une pinte de bière brune toutes les six heures.
Une promenade de quinze kilomètres chaque matin.
Coucher à onze heures précises, chaque soir. Et ne te bourre donc pas le crâne avec des choses qui te dépassent. »
D’après J. K. Jérome