Теперь Кью работает в режиме чтения

Мы сохранили весь контент, но добавить что-то новое уже нельзя
История, Философия, Право, Международные отношения, Военное дело, География, Иностранные я...  · 21 апр 2022

Victor Hugo LES COMPRACHICOS

Qui connaît à cette heure le mot comprachicos, et qui en sait le sens ?
Les comprachicos, ou comprapequeños, étaient une hideuse et étrange affiliation nomade, fameuse au dix-septième siècle, oubliée au dix-huitième, ignorée aujourd’hui. Les comprachicos sont, comme « la poudre de succession », un ancien détail social caractéristique. Ils font partie de la vieille laideur humaine. Pour le grand regard de l’histoire, qui voit les ensembles, les comprachicos se rattachent à l’immense fait Esclavage. Joseph vendu par ses frères est un chapitre de leur légende. Les comprachicos ont laissé trace dans les législations pénales d’Espagne et d’Angleterre. On trouve ça et là dans la confusion obscure des lois anglaises la pression de ce fait monstrueux, comme on trouve l’empreinte du pied d’un sauvage dans une forêt.
Comprachicos, de même que comprapequenos, est un mot espagnol composé qui signifie « les achète-petits ».
Les comprachicos faisaient le commerce des enfants.
Ils en achetaient et ils en vendaient.
Ils n’en dérobaient point. Le vol des enfants est une autre industrie.
Et que faisaient-ils de ces enfants ?
Des monstres.
Pourquoi des monstres ?
Pour rire.
Le peuple a besoin de rire ; les rois aussi. Il faut aux carrefours le baladin ; il faut aux Louvres le bouffon. L’un s’appelle Turlupin, l’autre Triboulet.
Les efforts de l’homme pour se procurer de la joie sont parfois dignes de l’attention du philosophe.
Qu’ébauchons-nous dans ces quelques pages préliminaires ? un chapitre du plus terrible des livres, du livre qu’on pourrait intituler : l’Exploitation des malheureux par les heureux.
II
Un enfant destiné à être un joujou pour les hommes, cela a existé. (Cela existe encore aujourd’hui.) Aux époques naïves et féroces, cela constitue une industrie spéciale. Le dix-septième siècle, dit grand siècle, fut une de ces époques. C’est un siècle très byzantin ; il eut la naïveté corrompue et la férocité délicate, variété curieuse de civilisation. Un tigre faisant la petite bouche. Madame de Sévigné minaude à propos du bûcher et de la roue. Ce siècle exploita beaucoup les enfants ; les historiens, flatteurs de ce siècle, ont caché la plaie, mais ils ont laissé voir le remède, Vincent de Paul.
Pour que l’homme hochet réussisse, il faut le prendre de bonne heure. Le nain doit être commencé petit. On jouait de l’enfance. Mais un enfant droit, ce n’est pas bien amusant. Un bossu, c’est plus gai.
De là un art. Il y avait des éleveurs. On prenait un homme et l’on faisait un avorton ; on prenait un visage et l’on faisait un mufle. On tassait la croissance ; on pétrissait la physionomie. Cette production artificielle de cas tératologiques avait ses règles. C’était toute une science. Qu’on s’imagine une orthopédie en sens inverse. Là où Dieu a mis le regard, cet art mettait le strabisme. Là où Dieu a mis l’harmonie, on mettait la difformité. Là où Dieu a mis la perfection, on rétablissait l’ébauche. Et, aux yeux des connaisseurs, c’était l’ébauche qui était parfaite. Il y avait également des reprises en sous-œuvre pour les animaux ; on inventait les chevaux pies ; Turenne montait un cheval pie. De nos jours, ne peint-on pas les chiens en bleu et en vert ? La nature est notre canevas. L’homme a toujours voulu ajouter quelque chose à Dieu. L’homme retouche la création, parfois en bien, parfois en mal. Le bouffon de cour n’était pas autre chose qu’un essai de ramener l’homme au singe. Progrès en arrière. Chef-d’œuvre à reculons. En même temps, on tâchait de faire le singe homme. Barbe, duchesse de Cleveland et comtesse de Southampton, avait pour page un sapajou. Chez Françoise Sutton, baronne Dudley, huitième pairesse du banc des barons, le thé était servi par un babouin vêtu de brocart d’or que lady Dudley appelait « mon nègre ». Catherine Sidley, comtesse de Dorchester, allait prendre séance au parlement dans un carrosse armorié derrière lequel se tenaient debout, museaux au vent, trois papions en grande livrée. Une duchesse de Medina-Cœli, dont le cardinal Polus vit le lever, se faisait mettre ses bas par un orang-outang. Ces singes montés en grade faisaient contrepoids aux hommes brutalisés et bestialisés. Cette promiscuité, voulue par les grands, de l’homme et de la bête, était particulièrement soulignée par le nain et le chien. Le nain ne quittait jamais le chien, toujours plus grand que lui. Le chien était le bini du nain. C’était comme deux colliers accouplés. Cette juxtaposition est constatée par une foule de monuments domestiques, notamment par le portrait de Jeffrey Hudson, nain de Henriette de France, fille de Henri IV, femme de Charles Ier.
Dégrader l’homme mène à le déformer. On complétait la suppression d’état par la défiguration. Certains vivisecteurs de ces temps-là réussissaient très bien à effacer de la face humaine l’effigie divine. Le docteur Conquest, membre du collège d’Amen-Street et visiteur juré des boutiques de chimistes de Londres, a écrit un livre en latin sur cette chirurgie à rebours dont il donne les procédés. À en croire Justus de Carrick-Fergus, l’inventeur de cette chirurgie est un moine nommé Aven-More, mot irlandais qui signifie Grande-Rivière.
Le nain de l’électeur palatin, Perkeo, dont la poupée — ou le spectre — sort d’une boîte à surprises dans la cave de Heidelberg, était un remarquable spécimen de cette science très variée dans ses applications.
Cela faisait des êtres dont la loi d’existence était monstrueusement simple : permission de souffrir, ordre d’amuser.
III
Cette fabrication de monstres se pratiquait sur une grande échelle et comprenait divers genres.
Il en fallait au sultan ; il en fallait au pape. À l’un pour garder ses femmes ; à l’autre pour faire ses prières. C’était un genre à part ne pouvant se reproduire lui-même. Ces à-peu-près humains étaient utiles à la volupté et à la religion. Le sérail et la chapelle Sixtine consommaient la même espèce de monstres, ici féroces, là suaves.
On savait produire dans ces temps-là des choses qu’on ne produit plus maintenant, on avait des talents qui nous manquent, et ce n’est pas sans raison que les bons esprits crient à la décadence. On ne sait plus sculpter en pleine chair humaine ; cela tient à ce que l’art des supplices se perd ; on était virtuose en ce genre, on ne l’est plus ; on a simplifié cet art au point qu’il va bientôt peut-être disparaître tout à fait. En coupant les membres à des hommes vivants, en leur ouvrant le ventre, en leur arrachant les viscères, on prenait sur le fait les phénomènes, on avait des trouvailles ; il faut y renoncer, et nous sommes privés des progrès que le bourreau faisait faire à la chirurgie.
Cette vivisection d’autrefois ne se bornait pas à confectionner pour la place publique des phénomènes, pour les palais des bouffons, espèces d’augmentatifs du courtisan, et pour les sultans et papes des eunuques. Elle abondait en variantes. Un de ces triomphes, c’était de faire un coq pour le roi d’Angleterre.
Il était d’usage que, dans le palais du roi d’Angleterre, il y eût une sorte d’homme nocturne, chantant comme le coq. Ce veilleur, debout pendant qu’on dormait, rôdait dans le palais, et poussait d’heure en heure ce cri de basse-cour, répété autant de fois qu’il le fallait pour suppléer à une cloche. Cet homme, promu coq, avait subi pour cela en son enfance une opération dans le pharynx, laquelle fait partie de l’art décrit par le docteur Conquest. Sous Charles II, une salivation inhérente à l’opération ayant dégoûté la duchesse de Portsmouth, on conserva la fonction, afin de ne point amoindrir l’éclat de la couronne, mais on fit pousser le cri du coq par un homme non mutilé. On choisissait d’ordinaire pour cet emploi honorable un ancien officier. Sous Jacques II, ce fonctionnaire se nommait William Sampson Coq, et recevait annuellement pour son chant neuf livres deux schellings six sous[2].
Il y a cent ans à peine, à Pétersbourg, les mémoires de Catherine II le racontent, quand le czar ou la czarine étaient mécontents d’un prince russe, on faisait accroupir le prince dans la grande antichambre du palais, et il restait dans cette posture un nombre de jours déterminé, miaulant, par ordre, comme un chat, ou gloussant comme une poule qui couve, et becquetant à terre sa nourriture.
Ces modes sont passées, moins qu’on ne croit pourtant. Aujourd’hui, les courtisans gloussant pour plaire modifient un peu l’intonation. Plus d’un ramasse à terre, nous ne disons pas dans la boue, ce qu’il mange.
Il est très heureux que les rois ne puissent pas se tromper. De cette façon leurs contradictions n’embarrassent jamais. En approuvant sans cesse, on est sûr d’avoir toujours raison, ce qui est agréable. Louis XIV n’eût aimé voir à Versailles ni un officier faisant le coq, ni un prince faisant le dindon. Ce qui rehaussait la dignité royale et impériale en Angleterre et en Russie eût semblé à Louis le Grand incompatible avec la couronne de saint Louis. On sait son mécontentement quand Madame Henriette une nuit s’oublia jusqu’à voir en songe une poule, grave inconvenance en effet dans une personne de la cour. Quand on est de la grande, on ne doit point rêver de la basse. Bossuet, on s’en souvient, partagea le scandale de Louis XIV.
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Homme_qui_rit/%C3%A9d._1869/Deux_chapitres_pr%C3%A9liminaires
IV Le commerce des enfants au dix-septième siècle se complétait, nous venons de l’expliquer, par une industrie... Читать дальше
V
Jacques II toléra les comprachicos. Par une bonne raison, c’est qu’il s’en servait. Cela du moins lui arriva plus d’une fois. On ne dédaigne pas toujours ce qu’on méprise. Cette industrie d’en bas, expédient excellent parfois pour l’industrie d’en haut qu’on nomme la politique, était volontairement laissée misérable, mais point persécutée. Aucune surveillance, mais une certaine attention. Cela peut être utile. La loi fermait un œil, le roi ouvrait l’autre.
Quelquefois le roi allait jusqu’à avouer sa complicité. Ce sont là les audaces du terrorisme monarchique. Le défiguré était fleurdelysé ; on lui ôtait la marque de Dieu, on lui mettait la marque du roi. Jacob Astley, chevalier et baronnet, seigneur de Melton, constable dans le comté de Norfolk, eut dans sa famille un enfant vendu, sur le front duquel le commissaire vendeur avait imprimé au fer chaud une fleur de lys. Dans de certains cas, si l’on tenait à constater, pour des raisons quelconques, l’origine royale de la situation nouvelle faite à l’enfant, on employait ce moyen. L’Angleterre nous a toujours fait l’honneur d’utiliser, pour ses usages personnels, la fleur de lys.
Les comprachicos, avec la nuance qui sépare une industrie d’un fanatisme, étaient analogues aux étrangleurs de l’Inde ; ils vivaient entre eux, en bandes, un peu baladins, mais par prétexte. La circulation leur était ainsi plus facile. Ils campaient çà et là, mais graves, religieux et n’ayant avec les autres nomades aucune ressemblance, incapables de vol. Le peuple les a longtemps confondus à tort avec les morisques d’Espagne et les morisques de Chine. Les morisques d’Espagne étaient faux monnayeurs, les morisques de Chine étaient filous. Rien de pareil chez les comprachicos. C’étaient d’honnêtes gens. Qu’on en pense ce qu’on voudra, ils étaient parfois sincèrement scrupuleux. Ils poussaient une porte, entraient, marchandaient un enfant, payaient et l’emportaient. Cela se faisait correctement.
Ils étaient de tous les pays. Sous ce nom, comprachicos, fraternisaient des anglais, des français, des castillans, des allemands, des italiens. Une même pensée, une même superstition, l’exploitation en commun d’un même métier, font de ces fusions. Dans cette fraternité de bandits, des levantins représentaient l’Orient, des ponantais représentaient l’Occident. Force basques y dialoguaient avec force irlandais ; le basque et l’irlandais se comprennent, ils parlent le vieux jargon punique ; ajoutez à cela les relations intimes de l’Irlande catholique avec la catholique Espagne. Relations telles qu’elles ont fini par faire pendre à Londres presque un roi d’Irlande, le lord gallois de Brany, ce qui a produit le comté de Letrim.
Les comprachicos étaient plutôt une association qu’une peuplade, plutôt un résidu qu’une association. C’était toute la gueuserie de l’univers ayant pour industrie un crime. C’était une sorte de peuple arlequin composé de tous les haillons. Affilier un homme, c’était coudre une loque.
Errer était la loi d’existence des comprachicos. Apparaître, puis disparaître. Qui n’est que toléré ne prend pas racine. Même dans les royaumes où leur industrie était pourvoyeuse des cours, et, au besoin, auxiliaire du pouvoir royal, ils étaient parfois tout à coup rudoyés. Les rois utilisaient leur art et mettaient les artistes aux galères. Ces inconséquences sont dans le va-et-vient du caprice royal. Car tel est notre plaisir.
Pierre qui roule et industrie qui rôde n’amassent pas de mousse. Les comprachicos étaient pauvres. Ils auraient pu dire ce que disait cette sorcière maigre et en guenilles voyant s’allumer la torche du bûcher : « Le jeu n’en vaut pas la chandelle. » Peut-être, probablement même, leurs chefs, restés inconnus, les entrepreneurs en grand du commerce des enfants, étaient riches. Ce point, après deux siècles, serait malaisé à éclaircir.
C’était, nous l’avons dit, une affiliation. Elle avait ses lois, son serment, ses formules. Elle avait presque sa cabale. Qui voudrait en savoir long aujourd’hui sur les comprachicos n’aurait qu’à aller en Biscaye et en Galice. Comme il y avait beaucoup de basques parmi eux, c’est dans ces montagnes-là qu’est leur légende. On parle encore à l’heure qu’il est des comprachicos Oyarzun, à Urbistondo, à Leso, à Astigarraga. Aguarda te, niño, que voy a llamar al comprachicos ![3] est dans ce pays-là le cri d’intimidation des mères aux enfants.
Les comprachicos, comme les tchiganes et les gypsies, se donnaient des rendez-vous ; de temps en temps, les chefs échangeaient des colloques. Ils avaient, au dix-septième siècle, quatre principaux points de rencontre. Un en Espagne : le défilé de Pancorbo ; un en Allemagne : la clairière dite la Mauvaise Femme, près Diekirsch, où il y a deux bas-reliefs énigmatiques représentant une femme qui a une tête et un homme qui n’en a pas ; un en France : le tertre où était la colossale statue Massue-la-Promesse, dans l’ancien bois sacré Borvo Tomona, près de Bourbonne-les-Bains ; un en Angleterre : derrière le mur du jardin de William Chaloner, écuyer de Gisbrough en Cleveland dans York, entre la tour carrée et le grand pignon percé d’une porte ogive.
VI
Les lois contre les vagabonds ont toujours été très rigoureuses en Angleterre. L’Angleterre, dans sa législation gothique, semblait s’inspirer de ce principe : Homo errans fera errante pejor. Un de ses statuts spéciaux qualifie l’homme sans asile « plus dangereux que l’aspic, le dragon, le lynx et le basilic » (atrocior aspide, dracone, lynce et basilico). L’Angleterre a longtemps eu le même souci des gypsies, dont elle voulait se débarrasser, que des loups, dont elle s’était nettoyée.
En cela l’anglais diffère de l’irlandais qui prie les saints pour la santé du loup et l’appelle « mon parrain ».
La loi anglaise pourtant, de même qu’elle tolérait, on vient de le voir, le loup apprivoisé et domestiqué, devenu en quelque sorte un chien, tolérait le vagabond à état, devenu un sujet. On n’inquiétait ni le saltimbanque, ni le barbier ambulant, ni le physicien, ni le colporteur, ni le savant en plein vent, attendu qu’ils ont un métier pour vivre. Hors de là, et à ces exceptions près, l’espèce d’homme libre qu’il y a dans l’homme errant faisait peur à la loi. Un passant était un ennemi public possible. Cette chose moderne, flâner, était ignorée ; on ne connaissait que cette chose antique, rôder. La « mauvaise mine », ce je ne sais quoi que tout le monde comprend et que personne ne peut définir, suffisait pour que la société prît un homme au collet. Où demeures-tu ? Que fais-tu ? Et s’il ne pouvait répondre, de dures pénalités l’attendaient. Le fer et le feu étaient dans le code. La loi pratiquait la cautérisation du vagabondage.
De là, sur tout le territoire anglais, une vraie « loi des suspects » appliquée aux rôdeurs, volontiers malfaiteurs, disons-le, et particulièrement aux gypsies, dont l’expulsion a été à tort comparée à l’expulsion des juifs et des maures d’Espagne, et des protestants de France. Quant à nous, nous ne confondons point une battue avec une persécution.
Les comprachicos, insistons-y, n’avaient rien de commun avec les gypsies. Les gypsies étaient une nation ; les comprachicos étaient un composé de toutes les nations ; un résidu, nous l’avons dit ; cuvette horrible d’eaux immondes. Les comprachicos n’avaient point, comme les gypsies, un idiome à eux ; leur jargon était une promiscuité d’idiomes ; toutes les langues mêlées étaient leur langue ; ils parlaient un tohu-bohu. Ils avaient fini par être, ainsi que les gypsies, un peuple serpentant parmi les peuples ; mais leur lien commun était l’affiliation, non la race. À toutes les époques de l’histoire, on peut constater, dans cette vaste masse liquide qui est l’humanité, de ces ruisseaux d’hommes vénéneux coulant à part, avec quelque empoisonnement autour d’eux. Les gypsies étaient une famille ; les comprachicos étaient une franc-maçonnerie ; maçonnerie ayant, non un but auguste, mais une industrie hideuse. Dernière différence, la religion. Les gypsies étaient païens, les comprachicos étaient chrétiens ; et même bons chrétiens ; comme il sied à une affiliation qui, bien que mélangée de tous les peuples, avait pris naissance en Espagne, lieu dévot.
Ils étaient plus que chrétiens, ils étaient catholiques ; ils étaient plus que catholiques, ils étaient romains ; et si ombrageux dans leur foi et si purs, qu’ils refusèrent de s’associer avec les nomades hongrois du comitat de Pesth, commandés et conduits par un vieillard ayant pour sceptre un bâton à pomme d’argent que surmonte l’aigle d’Autriche à deux têtes. Il est vrai que ces hongrois étaient schismatiques au point de célébrer l’Assomption le 27 août, ce qui est abominable.
En Angleterre, tant que régnèrent les Stuarts, l’affiliation des comprachicos fut, nous en avons laissé entrevoir les motifs, à peu près protégée. Jacques II, homme fervent, qui persécutait les juifs et traquait les gypsies, fut bon prince pour les comprachicos. On a vu pourquoi. Les comprachicos étaient acheteurs de la denrée humaine dont le roi était marchand. Ils excellaient dans les disparitions. Le bien de l’État veut de temps en temps des disparitions. Un héritier gênant, en bas âge, qu’ils prenaient et qu’ils maniaient, perdait sa forme. Ceci facilitait les confiscations. Les transferts de seigneuries aux favoris en étaient simplifiés. Les comprachicos étaient de plus très discrets et très taciturnes, s’engageaient au silence, et tenaient parole, ce qui est nécessaire pour les choses d’État. Il n’y avait presque pas d’exemple qu’ils eussent trahi les secrets du roi. C’était, il est vrai, leur intérêt. Et si le roi eût perdu confiance, ils eussent été fort en danger, Ils étaient donc de ressource au point de vue de la politique. En outre, ces artistes fournissaient des chanteurs au saint-père. Les comprachicos étaient utiles au miserere d’Allegri. Ils étaient particulièrement dévots à Marie. Tout ceci plaisait au papisme des Stuarts. Jacques II ne pouvait être hostile à des hommes religieux qui poussaient la dévotion à la vierge jusqu’à fabriquer des eunuques. En 1688 il y eut un changement de dynastie en Angleterre. Orange supplanta Stuart. Guillaume III remplaça Jacques II.
Jacques II alla mourir en exil où il se fit des miracles sur son tombeau, et où ses reliques guérirent l’évêque d’Autun de la fistule, digne récompense des vertus chrétiennes de ce prince.
Guillaume, n’ayant point les mêmes idées ni les mêmes pratiques que Jacques, fut sévère aux comprachicos. Il mit beaucoup de bonne volonté à l’écrasement de cette vermine.
Un statut des premiers temps de Guillaume et Marie frappa rudement l’affiliation des acheteurs d’enfants. Ce fut un coup de massue sur les comprachicos, désormais pulvérisés. Aux termes de ce statut, les hommes de cette affiliation, pris et dûment convaincus, devaient être marqués sur l’épaule d’un fer chaud imprimant un R, qui signifie rogue, c’est-à-dire gueux ; sur la main gauche d’un T, signifiant thief, c’est-à-dire voleur ; et sur la main droite d’un M, signifiant man slay, c’est-à-dire meurtrier. Les chefs, « présumés riches, quoique d’aspect mendiant », seraient punis du collistrigium, qui est le pilori, et marqués au front d’un P, plus leurs biens confisqués et les arbres de leurs bois déracinés. Ceux qui ne dénonceraient point les comprachicos seraient « châtiés de confiscation et de prison perpétuelle », comme pour le crime de misprision. Quant aux femmes trouvées parmi ces hommes, elles subiraient le cucking stool, qui est un trébuchet dont l’appellation, composée du mot français coquine et du mot allemand stuhl, signifie « chaise de p….. ». La loi anglaise étant douée d’une longévité bizarre, cette punition existe encore dans la législation d’Angleterre pour « les femmes querelleuses ». On suspend le cucking stool au-dessus d’une rivière ou d’un étang, on assoit la femme dedans, et on laisse tomber la chaise dans l’eau, puis on la retire, et on recommence trois fois ce plongeon de la femme, « pour rafraîchir sa colère », dit le commentateur Chamberlayne.